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Loïc Hénaff : la relocalisation pour “penser à l’économie d’aujourd’hui et surtout de demain”

Le 12/04/24

Conseiller régional délégué aux relocalisations et au fret et à la logistique, Loïc Hénaff détaille les contours de la démarche de relocalisation par les achats menée par la Région Bretagne.

Loïc Hénaff, conseiller régional délégué aux relocalisations et au fret

Pour quelles raisons la relocalisation par les achats est l’un des enjeux de la Région Bretagne ?

Pendant une trentaine d’années, jusqu’au début des années 2010, la France a perdu une grande partie de son industrie. La part du PIB industriel a été presque divisée par 2. Ce qui a entraîné des effets pervers. Nous avons transposé notre bilan carbone à l’étranger. Certes, la France génère 1% des émissions de CO2 dans le monde, mais le double est produit pour nous dans d’autres pays… Nous sommes dans un état de très forte dépendance vis à vis d’économies étrangères. La crise Covid et le confinement l’ont mis en exergue pour des produits comme le paracétamol ou les masques, qui sont des pièces essentielles de l’économie. Dans un monde où la compétition fait rage, la France est à la peine. Depuis 10 ans, nous sentons un ralentissement du mouvement de délocalisation. L’hémorragie a cessé. Depuis 2 ou 3 ans, nous constatons un retour de certaines activités industrielles en France. Mais avec très peu d’effets, notamment sur les emplois. La situation n’est pas enviable, à l’échelle française. La Bretagne est au même niveau. Elle a aussi subi des délocalisations.

 

« Comment transformons-nous l’économie de la Bretagne ? »

La Région Bretagne évoque des raisons hautement stratégiques pour expliquer son positionnement sur le sujet de la relocalisation. Pourquoi ?

Nous avons choisi la voie culturelle. Celle de la sensibilisation. Si tous les acteurs de l’économie, des particuliers, aux secteurs public et privé, font un effort de relocalisation de leurs achats, nous sommes convaincus que des changements s’opéreront. Les liens se resserreront, les usines et les ateliers se rempliront. La Région évoque des raisons hautement stratégiques car elle pense à l’économie d’aujourd’hui, mais aussi et surtout de l’économie de demain.

Nous devons faire en sorte que la Bretagne soit bien positionnée dans le futur. Aujourd’hui, il faut maintenir l’existant. Demain, nous regarderons plus attentivement les impacts sociaux des activités économiques et encore plus les aspects environnementaux. L’économie va se transformer, se décarboner. La question principale est : comment transformons-nous l’économie bretonne en y mettant les bonnes choses ? L’activité et la croissance de demain sont les enjeux de demain.

 

Comment est né le projet de l’étude Reloc’h visant à déceler le potentiel de relocalisation en Bretagne ?

La situation de l’industrie bretonne, la capacité à se mobiliser et la crise liée au Covid nous ont incités à lancer cette vaste étude. Elle part de questionnements simples. Que pourrions-nous relocaliser en Bretagne ? Pouvons-nous imaginer un retour de pans entiers de l’industrie ? Que pouvons-nous construire ? Quelle sera l’industrie de demain ? Le président Loïg Chesnais-Girard m’a sollicité pour pousser ce sujet afin de voir comment la Région Bretagne pouvait éclairer, sensibiliser et informer à l’achat local. L’association Produit en Bretagne a démontré que l’on pouvait influer sur le comportement des achats des Bretons. Avec le dernier SPASER (schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables), porté par le conseiller régional Simon Uzenat, l’achat public en Bretagne va fléchir un peu plus vers le local. Désormais, il reste à amener les entreprises à se questionner différemment. En les incitant à regarder le TCO (coût total de détention) et non plus seulement le prix du produit.

 

Un potentiel de relocalisation multiple

Quelles ont été les principales conclusions de l’étude Reloc’h ?

L’étude a démontré trois éléments. D’abord, il existe un potentiel de développement économique à horizon 2030 important pour la Bretagne. Il se chiffre à hauteur de 5 milliards d’euros de création de valeur et 130 000 emplois, soit 6% de la population active actuelle. La région est attractive. Elle va accueillir 400 000 futurs Bretons d’ici 2030. Elle a donc la capacité de les faire travailler. À condition d’opérer un certain nombre de changements. Notamment une mise en mouvement pour relocaliser de l’industrie.

Ce potentiel de relocalisation n’est pas qu’industriel. Les emplois créés seront directs, indirects ou induits. Il est question d’augmenter l’activité dans les entreprises existantes car cela aboutit à une recherche de productivité et donc de la création de valeur. La croissance économique est créée par cette recherche de productivité. Remplir les usines c’est bien, mais remplir les commerces qui fournissent les salariés, c’est bien aussi.

Ensuite, il existe un potentiel de localisation ou de développement d’activités dans l’énergie, les biomatériaux, l’aquaculture, la recherche. Plusieurs dizaines de milliers d’emplois directs, indirects ou induits sont à la clé.

Enfin, le tourisme va augmenter. La Bretagne va continuer à être une terre attractive. Si nous faisons le choix d’un tourisme plus durable, il sera plus attractif. Pas en quantité, mais en qualité. Nous cherchons des touristes prêts à dépenser mieux en veillant à tabler sur un tourisme ouvert à tous. Nous voulons du mieux plutôt que du plus. Ce tourisme va générer de l’emploi, partout en Bretagne.

Grâce à ce que nous avons, nous pouvons nous transformer, rapatrier et créer des produits. C’est à notre portée.

 

Le sujet de la relocalisation n’est pas nouveau en Bretagne, notamment avec le lancement de l’association Produit en Bretagne.

Dans les années 1990, on considérait que l’industrie européenne était uniquement concentrée entre la Ruhr et la plaine du Pô. Une poignée d’indéfectibles Bretons issus surtout du secteur de l’agroalimentaire ont montré leur désapprobation. Ils ont proposé aux Bretons de démontrer leur attachement à leur région, à ses produits, à son économie et à ses emplois. Ils ont eu l’idée d’apposer un petit logo pour montrer aux gens que les produits achetés étaient liés aux emplois de leurs proches. Cette démarche a démarré par un test avec un logo rouge et jaune avec l’appellation Produit en Bretagne. Il a été concluant. Trente ans plus tard, ce logo est présent sur près d’un milliard de produits de grande consommation et regroupe près de 500 entreprises. Produit en Bretagne démontre la capacité à se mobiliser pour faire avancer les choses. C’est le parfait exemple d’acteurs locaux volontaires qui agissent ensemble, en mettant de côté leurs conflits.

 

Quels pourraient être les impacts de la relocalisation en Bretagne ?

S’il y a deux impacts à retenir, ce sont une industrialisation soutenue de la Bretagne et la décarbonation de notre économie. En ayant ces deux objectifs prioritaires en ligne de mire, beaucoup d’autres suivront. En créant un cadre, notre empreinte sociale s’améliorera tout en maintenant l’équilibre dans et entre les territoires. Nous créons un peu de tension avec la notion d’achat local, mais derrière nous renforçons le tissu industriel. La productivité va augmenter. Nous allons chercher de l’innovation. Si nous voulons décarboner, nous serons obligés d’inventer, de créer de nouvelles activités, de nouveaux produits, de nouvelles façons de faire. Derrière, tout va bouger, dans le bon sens et dans cette optique de plus d’emplois, moins de carbone.

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